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Europe et GNL: baisse globale, dépendance russe persistante et infrastructures surdimentionnées

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En 2024, l’Europe a réduit ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL), dans le sillage de sa transition énergétique. Pourtant, les livraisons en provenance de Russie ont, elles, augmenté. Cette contradiction soulève des interrogations sur la cohérence des politiques énergétiques européennes, d’autant que les infrastructures d’importation continuent de croître malgré une demande en recul.

  • Une baisse globale des importations de GNL portée par la transition énergétiques

Entre 2021 et 2024, la consommation de gaz en Europe a chuté d’environ 20 %, conséquence directe de plusieurs dynamiques convergentes. La crise énergétique liée à la guerre en Ukraine a conduit à des politiques de sobriété imposées ou encouragées par les gouvernements, notamment à travers des campagnes de réduction de la consommation hivernale et des mesures d’efficacité dans les secteurs résidentiel et industriel. Parallèlement, l’accélération du développement des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectrique) a permis de réduire progressivement la dépendance au gaz fossile dans la production d’électricité et le chauffage.

Ces efforts ont eu un impact concret sur les importations de GNL : en 2024, elles ont reculé de 19 % par rapport à 2023. Certains pays se sont particulièrement illustrés par des baisses drastiques : le Royaume-Uni a réduit ses achats de GNL de 47 %, la Belgique de 29 %, et l’Espagne de 28 %. Ces chiffres traduisent une adaptation rapide des infrastructures et des usages, et montrent que plusieurs États européens prennent la transition énergétique au sérieux, tant pour des raisons environnementales que stratégiques.

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  • Une hausse paradoxale du GNL russe malgré les ambitions européennes

Malgré la baisse générale des importations de GNL, un fait surprend : celles en provenance de Russie ont augmenté de 18 % en 2024, atteignant 21,8 milliards de mètres cubes contre 19,5 milliards en 2023. Cette augmentation survient alors même que l’Union européenne s’est fixée pour objectif de cesser toute dépendance aux énergies fossiles russes d’ici 2027 via le plan REPowerEU.

Plusieurs explications permettent de comprendre cette contradiction. D’abord, les contrats à long terme signés avant la guerre – comme celui de SEFE avec le projet Yamal – continuent de produire des effets. Ensuite, certains flux sont redirigés ou “détournés”, comme dans le cas des cargaisons prévues initialement pour l’Inde mais qui restent en Europe. Enfin, les mécanismes de marché, avec des prix souvent attractifs sur le GNL russe, incitent certains acteurs à maintenir ces approvisionnements malgré la ligne politique officielle.

En 2024, trois pays – la France, la Belgique et l’Espagne – ont représenté 85 % des importations européennes de GNL russe. Cette concentration géographique montre que la politique énergétique européenne est loin d’être harmonisée, et que les intérêts économiques à court terme peuvent parfois l’emporter sur les impératifs géopolitiques.

  • Des infrastructures en surcapacité face à une demande en baisse 

Face à la crise énergétique de 2022 et la chute brutale des importations de gaz russe par gazoduc, les pays européens ont accéléré la construction de terminaux de regazéification pour sécuriser leurs approvisionnements en GNL. Entre début 2022 et fin 2024, les capacités européennes de regazéification ont augmenté de 31 %. Ce développement visait à diversifier les sources et éviter toute nouvelle dépendance unilatérale.

Cependant, cette stratégie d’expansion rapide s’avère aujourd’hui inadaptée à la réalité de la demande. En 2024, le taux moyen d’utilisation des terminaux est tombé à seulement 42 %, contre 58 % l’année précédente. La moitié des terminaux européens fonctionnent même en dessous de 40 % de leur capacité. Or, selon les prévisions de l’IEEFA, cette sous-utilisation pourrait empirer, avec un taux d’utilisation moyen estimé à 30 % d’ici 2030. Et paradoxalement, les capacités devraient encore augmenter de 60 % d’ici là, si les projets actuellement en cours sont menés à terme.

Ce décalage entre l’offre d’infrastructure et la demande réelle pose plusieurs problèmes : d’une part, il représente un risque financier pour les opérateurs (et potentiellement pour les consommateurs via les hausses de factures), et d’autre part, il entre en contradiction avec les objectifs climatiques de l’UE. Investir dans des infrastructures fossiles aujourd’hui, alors que l’on anticipe une baisse structurelle de la consommation, pourrait créer des “actifs échoués”, c’est-à-dire des équipements coûteux devenus inutiles avant la fin de leur durée de vie.